COMPTE RENDU COLLOQUE: 'L'état de droit sous pression'

Le 20 avril 2017, PROGRESS Lawyers Network organisait sont colloque annuel intitulé: ‘L’Etat de droit sous pression: état des lieux et perspectives’. Ce thème fort d’actualité a attiré un large public. Les conférenciers se sont penchés sur les politiques sécuritaires et leur impact sur les droits humains en Belgique et à l’étranger. Le résultat était réussi.

Après le mot d’ouverture donné par les avocats de PROGRESS Lawyers Network, la première session a pu commencé. Les conférenciers invités ont tenté d’expliquer la situation de l’Etat de droit au niveau belge et européen.

Christine Guillain (professeure aux Facultés universitaires Saint-Louis et Présidente de la Commission Justice de la Ligue des Droits de l’Homme) et Sixtine Van Outryve d’Ydewalle (assistante et doctorante en théorie du droit à l’Université catholique de Louvain) ont donné un aperçu des différentes législations existants en Belgique depuis 2001. On observe une accélération temporelle et quantitative de ces différentes mesures d’exceptions. La combinaison de ces législations anti-terroristes cause un déséquilibre avec  les droits fondamentaux et les principes de l’ Etat de droit.

On assiste à un glissement des prérogatives des juges du fond, de l’instruction vers le parquet, vers les services de police, on assiste aussi à l’essor de contrôles unilatéraux à l’érosion croissante du monopole du juge d’instruction en matière de protection des droits et libertés fondamentaux.

La législation devient de plus en plus répressive, l’incertitude juridique de plus en plus grande. Ainsi on verra, par exemple, un renversement complet de la logique du principe de secret professionnel. A la base, le Code pénal incrimine sa violation, maintenant on incrimine le fait de vouloir le respecter.

   

Christine Guillain et Sixtine Van Outryve d’Ydewalle

Maria Luisa Cesoni (professeure à l’Université catholique de Louvain) replacera ces évolutions législatives dans le cadre européen. On assiste à un processus de normalisation  de la production des normes pénales par l’insertion des politiques de lutte contre  la criminalité dans le cadre de la procédure législative ordinaire de l’Union européenne. Une politique de sécurité intérieure globale est en train de se construire au sein de l’U.E..

Les dispositions juridiques en matière pénale et sécuritaire dans le cadre de l’U.E constituent  effectivement un droit d’exception qui se fonde sur un droit qui limite de manière disproportionnée ou viole les droits et libertés fondamentaux. Ce droit d’exception s’est construit au départ autour de la criminalité organisée de type mafieux et le terrorisme.

La lutte contre ces phénomènes (ex : la mise à disposition des informations entre les Etats membres) et la volonté d’affronter ces menaces justifient l’existence de ce droit d’exception.

On assiste aujourd’hui à une situation où les Etats membres de l’Union européenne introduisent de plus en plus de dispositifs qui violent les droits fondamentaux que ces Etats doivent en réalité respecter. 

Jos Vander Velpen

Jos Vander Velpen, avocat et président de la Liga voor Mensenrechten, s’est penché sur les mesures prises après le 11 septembre 2001. Dans son exposé, il a examiné l’efficacité de celles-ci et leur impact sur la démocratie. Mener cette discussion est déjà difficile en soi, selon Jos Vander Velpen. Après chaque attentat, on constate que les mêmes mots sont prononcés : « Nous ne laisserons pas ces terroristes changer notre vie ». Mais nos droits civiques sont tout de même à chaque fois un peu plus cadenassés. L’effet cumulatif des différentes mesures prises dans la lutte contre le terrorisme est inquiétant d’après lui. Certaines mesures peuvent être efficaces, mais d’autres sont totalement disproportionnées, explique Vander Velpen. Il faut se pencher sur l’efficacité des politiques à long terme, parce que  l’application de politiques répressives qui limitent les droits fondamentaux de citoyens innocents ne fonctionnent pas. Pour conclure, Vander Velpen se positionne pour un investissement dans la prévention. La prévention est, selon lui, la seule manière d’imprégner les mentalités, aussi bien des autochtones que des allochtones, des idéaux de notre Etat de droit.

Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférence à l’Université Paris 8 et spécialiste de la justice d’exception, nous a donné un aperçu de la situation de la France, déclaré en état d’urgence depuis novembre 2015. En novembre 2017, elle battra son « record » de plus longue période d’état d’urgence jamais connue. Et le 23 avril 2017, des élections se dérouleront dans une des plus grande « démocratie » européenne et ce sous état d’urgence. C’est par une analyse des différents cas de recours à la législation d’exception dans l’Histoire de la France qu’elle nous décrira les logiques politiques sous-jacentes à ce mécanisme qui n’est pas nouveau. L’état d’exception a, depuis les années 1930, plusieurs fois été utilisé par la France pour contrôler son territoire et sa population, pour enrayer des émeutes de banlieues, écarter des idéologies, censurer des médias, retirer des titres de séjour, imposer des assignations à résidence, mais encore jamais contre le ‘terrorisme’. C’est une première. Aujourd’hui, le fait de vouloir condamner des personnes pour les intentions qu’on leur assigne est encore un pas en plus.

Un état d’exception militaire ne fonctionnerait pas à l’heure actuelle, pas parce qu’on s’y opposerait, mais parce qu’il serait trop visible. Aujourd’hui il existe par exemple ‘les notes blanches’, des P.V. établis par la police que même les avocats ne peuvent pas lire.

Le pas de l’extension vers la poursuite des mouvements sociaux a déjà été franchi. On l’a par exemple observé avec les manifestants écologistes lors de la conférence sur le climat à Paris en décembre 2015. Des centaines de personnes ont été arrêtées, assignées à résidence, perquisitionnées selon les mesures justifiées par l’état d’urgence. Par contre aucun acte terroriste n’a pu être déjoué par la procédure d’état d’urgence. 

   

Vanessa Codaccioni et Valentina Colletta

L’italienne Valentina Colletta, avocate à Turin, a expliqué, lors de ce colloque, comment le gouvernement national collabore avec autorités régionales pour criminaliser les mouvements qui luttent contre la construction de la ligne TGV dans sa ville. Ils ont été jusqu’à déclarer des « zones de sécurité nationale », où le rassemblement de personnes est interdit. Des individus ont été poursuivis sur base de la législation nationale contre le terrorisme… C’est de cette manière que le mouvement citoyen No TAV (pas de TGV) est criminalisé.

L’intervenant turc Ramazan Demir, avocat à Istanbul, était censé nous parler de la réalité de l’état d’urgence dans son pays. Plutôt que d’en parler, il nous a donné un exemple plus que vivant des conséquences de cette réalité : il n’a pu quitter le pays car est soupçonné, en raison de l’état d’urgence en Turquie, de certaines infractions non spécifiées.

Le professeur émérite à l’Université de Gand, Rik Coolsaet, a dépeint la vision du terrorisme dans le passé en la liant à l’actuelle. Le terrorisme est vieux de plusieurs siècles et a fait dans le passé relativement plus de victimes qu’aujourd’hui. Mais il existe quant même une grande différence : le mot « radicalisation ». Un terme qui a commencé a être utilisé juste après le 11 septembre 2001 et l’est toujours aujourd’hui, explique le professeur Coolsaet. Auparavant, le mot « radicalisation » était déjà un concept complexe, mais n’était pas encore lié à l’Islam. D’après Coolsaet, la radicalisation est une construction politique et n’est pas le terme idéal à utiliser étant donné qu’il n’y aucune recherche scientifique derrière. Rik Coolsaet est d’avis qu’il n’y a aucun lien causal entre le fait d’avoir des idées radicales et le fait de poser des actes radicaux. Enfin, toujours selon le professeur Coolsaet, il est donc inutile de viser des personnes spécifiques et de les étiqueter comme terroristes parce que le « profilage » ne fonctionne pas.

   

Rik Coolsaet et Gaby Jaenen

La secrétaire syndicale ABVV (FGTB) Gaby Jaenen nous a apporté une perspective intéressante. Elle a parlé de la façon dont les syndicats ont été abordés pour des actions sociales. Depuis les années ’80, l’Etat de droit interfère avec les syndicats sociaux, explique Jaenen. Les syndicats parlent d’une « violation de la liberté syndicale ». Ils sont de plus en plus souvent montrer sous un mauvais jour tant par les médias que par certaines partis politiques tels que la N-VA. Les actions syndicales doivent laisser place au climat politique et ne peuvent pas remettre en question des décisions gouvernementales. Jaenen estime que les syndicats sont de plus en plus encadrés. Quand les médias et certains partis politiques traitent des actions syndicales de « criminelles », il est très difficile pour les citoyens de se dire que ce n’est pas le cas. Pour conclure, Gaby Jaenen a illustré ses propos par divers messages médiatiques discréditant totalement les actions des syndicats.

Le juge d’instruction Karel Van Cauwenberghe a apporté sa vision sur la réduction des pouvoirs du juge d’instruction en Belgique. La tendance de plus en plus visible est au transfert des pouvoirs du juge d’instruction vers le ministère public. Le fait que cette augmentation des pouvoirs du ministère public ne soit pas accompagnée du contrôle nécessaire est préoccupant. Le déplacement de pouvoir doit voir aussi un contrôle. Il est très inquiétant que des personnes puissent être privées de libertés sans l’intervention d’un juge. Dans le climat actuel, ce n’est pas une bonne idée de donner plus de pouvoir au ministère public alors qu’il ne s’agit pas d’un organe indépendant, argumente le juge d’instruction Van Cauwenberghe.

   

Walter Damen, Marie Doutrepont (PLN) et Jan Van Laer (PLN) - Diletta Tatti (PLN) et Valentina Colletta

Walter Damen, avocat au barreau d’Anvers, a exposé les excès dans les procès pour terrorisme en Belgique. Damen se base sur des affaires qu’il a lui-même traité. Il trouve inquiétant le fait que des noms de potentiels terroristes soient galvaudés. Cela peut avoir des conséquences considérables. Ainsi, le nom de la famille d’un de ses clients a été sali dans les journaux et beaucoup ont par conséquent perdu leur travail. Le régime pénitentiaire pour terrorisme est mauvais, explique Damen. Des terroristes potentiels avec des problèmes psychologiques ont besoin d’un suivi psychologique, mais celui-ci n’est pas ou trop peu prévu. C’est un problème important car la radicalisation se produit souvent en prison même.

L’avocat Nicolas Cohen a raconté, d’après son expérience de terrain à Bruxelles, comment l’arbitraire régit. Un suspect va être traiter très sévèrement alors que l’autre sera à peine considéré.

    
 Nicolas Cohen et Vincent Sizaire

Vincent Sizaire, magistrat français et maître conférence à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, a rappelé que le plus grand nombre de procès pour terrorisme a été établi en 1914-1918 et en 1940-1945 par les tribunaux militaires de l’occupation et du régime de Vichy. Il a aussi insisté sur la non nécessité des mesures d’exception en revenant sur la définition du terrorisme afin de pouvoir expliquer que le droit actuel permet déjà la poursuit